jeudi 4 septembre 2014

Neutrinos : le Soleil à cœur ouvert

Les physiciens de l’expérience Borexino ont mesuré pour la première fois le flux des neutrinos produits par la fusion de protons au centre du Soleil, les témoins directs de la production d’énergie de notre étoile.

Vue de l'intérieur du détecteur Borexino rempli d'un liquide scintillateur, qui émet de la lumière lorsqu'un neutrino provenant du Soleil interagit avec un électron du milieu. La paroi est tapissée de détecteurs qui guettent ces émissions lumineuses.
Collaboration Borexino



Soixante-cinq milliards de neutrinos par centimètre carré et par seconde ! Ce flux impressionnant de particules qui nous parvient depuis le Soleil traduit la quantité de réactions de fusion nucléaire qui ont lieu au cœur de l’astre. Ce dernier tire surtout son énergie des processus dans lesquels des protons fusionnent et produisent des noyaux d’hélium. Cela requiert plusieurs étapes et chacune s’accompagne de la production de neutrinos. La première et la plus importante des réactions du processus, qui contribue à 90 % au flux de neutrinos, est la fusion de deux protons, mais l’énergie de ces neutrinos étant très faible, ces particules n’avaient jamais été observées directement. Après sept ans de fonctionnement, l’expérience Borexino a amélioré sa sensibilité et a enfin pu mesurer ce flux.
La chaîne p-p de fusion nucléaire qui se déroule au cœur du Soleil produit des neutrinos à diverses étapes. Ceux détectés pour la première fois par l'expérience Borexino correspondent à la première réaction, la fusion de deux protons.
Collaboration Borexino/Nature
L’origine de l’énergie du Soleil a été un sujet de débat depuis le XIXeme siècle. Lord Kelvin et Hermann von Helmholtz imaginaient qu’elle provenait de la contraction gravitationnelle de l’astre. Mais la durée de vie aurait été bien trop courte (30 millions d’années) comparée, par exemple, aux estimations géologiques de la formation de la Terre à l’époque (300 millions d’années). Avec le développement de la théorie de la relativité restreinte, de la physique atomique et de la physique quantique, les chercheurs ont compris que c'est la fusion nucléaire qui fournit l’énergie du Soleil : la masse de quatre protons étant supérieure à la masse d’un noyau d’hélium, la différence de masse lors des réactions de fusion est convertie en énergie (conformément à la relation E = mc2). C’est donc progressivement que les astrophysiciens, à la suite de Hans Bethe, ont esquissé le cycle de production d’énergie dans une étoile telle que le Soleil. Le cycle commence avec la fusion de deux protons – on parle alors de chaîne p-p. Plusieurs réactions de fusion se suivent et certaines émettent des neutrinos avec des spectres d’énergie différents.Les neutrinos interagissent peu avec la matière. Ils quittent rapidement l’étoile et arrivent sur Terre en environ huit minutes. L’énergie produite lors de la fusion prend la forme de photons, pour l'essentiel. Ces derniers mettent près de 100 000 ans à sortir de l’astre, en raison de leurs nombreuses interactions avec le plasma stellaire. Ainsi, les neutrinos qui arrivent aujourd’hui témoignent de l’activité actuelle au cœur du Soleil, tandis que les photons reflètent celle d’il y a 100 000 ans. Ces neutrinos sont donc d’un grand intérêt pour sonder l’étoile. Mais ils présentent un défi sur le plan expérimental, surtout ceux de la fusion de deux protons qui ont une énergie très basse, défi qui a été relevé par les physiciens de l’expérience Borexino.
Ce graphique indique le flux de neutrinos et leur spectre en énergie en fonction de la réaction qui les produit. Les neutrinos de la fusion proton-proton ont une énergie faible, ce qui les rendait difficile à distinguer du bruit de fond dans les expériences.
Collaboration Borexino/Nature

Cette expérience est le fruit d’une collaboration entre plusieurs pays européens (l’Italie, l’Allemagne, la Pologne et la France avec la participation du Laboratoire Astroparticule et Cosmologie – (CNRS/Université Paris Diderot/CEA/Observatoire de Paris ), les États-Unis et la Russie. Elle est installée au Laboratoire du Gran Sasso en Italie, à 1 400 mètres sous la chaîne des Apennins à l’abri des perturbations liées aux rayons cosmiques. Il s’agit d’une grande cuve remplie d’un scintillateur liquide, qui émet de la lumière quand un neutrino percute un électron d’un atome du liquide. Les neutrinos ne sont pas simples à observer : ils interagissent peu avec la matière ordinaire, ils sont soumis à des « oscillations » quantiques – il existe trois types de neutrinos, ceux produits dans une étoile sont les neutrinos dits électroniques et, arrivés sur Terre, environ un tiers d'entre eux (aux énergies considérées par Borexino) se sont spontanément transformés en l’un des deux autres types. De nombreuses expériences ont déjà étudié les neutrinos solaires, mais sans détecter directement ceux issus de la fusion de deux protons.
Ces neutrinos, qui représentent théoriquement 90 pour cent du flux de neutrinos solaires, n’avaient pas encore été détectés en raison de leur très faible énergie – moins de 420 kiloélectronvolts, dont il résulte que l’énergie transférée à l’électron en cas d’interaction est également réduite. Un tel signal est alors masqué par le bruit de fond lié aux rayons cosmiques et à la radioactivité naturelle (en particulier celle du carbone 14 présent dans le scintillateur liquide). Les physiciens de Borexino ont entrepris d’éliminer le plus possible ces nuisances et ont pu isoler le signal des neutrinos de la fusion p-p.
Les physiciens ont déterminé que le flux de neutrinos issus de la fusion p-p est de 6,6 × 1010 particules par centimètre carré et par seconde. À partir de cette donnée, il est alors possible de calculer la puissance produite par le Soleil : elle est de 3,9 × 1026 watts, une valeur très proche de celle calculée en utilisant le flux de photons, bien connu. Cette comparaison confirme la compréhension que l'on a de la chaîne de fusion p-p et conforte l’hypothèse qui était souvent faite par les astrophysiciens, à savoir que le flux total de neutrinos était compatible avec celui des photons.
En outre, comme il y a un décalage de 100 000 ans entre la production des neutrinos détectés et celle des photons détectés, les chercheurs peuvent conclure que l’activité solaire n’a pratiquement pas changé durant cette période : l’étoile est en équilibre thermodynamique.Le résultat de l’expérience Borexino ouvre aussi de nouvelles perspectives. Les quatre sources de neutrinos présentes dans la chaîne p-p ayant désormais été mesurées, les chercheurs peuvent s’intéresser à une autre chaîne de fusion, dite carbone-azote-oxygène (CNO). Cette chaîne convertit également les protons en hélium par des réactions successives impliquant le carbone, l’azote et l’oxygène. Ce cycle est important dans des étoiles très massives et ne représente qu’un pour cent de la production d’hélium dans le Soleil. Des neutrinos étant aussi associés à cette chaîne, il sera intéressant d’étudier leur spectre en énergie et leur flux.


Source : Pour la science

   
Publié sur Soleil : Astre divin

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